Projet SAPPA (Février 2020 – No 01)

Édition février 2020 (01)


 

Le SAPPA offre du soutien et
facilite la communication entre les
personnes aphasiques et leurs proches

Courte entrevue avec Claire Croteau


Claire Croteau, Ph.D.

Professeure agrégée, École d’orthophonie et d’audiologie, Université de Montréal
Chercheure et responsable de site, CRIR – Institut universitaire sur la réadaptation en déficience physique
de Montréal (IURDPM), pavillon Lindsay, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

 

 

Quelles questions ou défis vous ont incitée à étudier les besoins en communication des personnes aphasiques et des membres de leur famille ?

Ma mère est devenue aphasique il y a 30 ans à la suite d’un accident vasculaire cérébral et a cherché de l’aide. À la fin de son traitement, son orthophoniste m’a dit : « Votre mère parle vraiment bien maintenant; quand je lui montre des images, elle trouve facilement les mots. ». À la maison c’était une toute autre histoire. Ma mère ne voulait plus vraiment parler. Nous ne savions pas comment communiquer avec elle. Il y avait un fossé entre ce qu’avait dit l’orthophoniste et ce que nous vivions comme famille. Cette expérience a orienté mes recherches. Depuis 25 ans, je me concentre sur les moyens qu’utilisent les familles pour mieux communiquer avec des personnes aphasiques et sur la façon d’améliorer les interventions orthophoniques.

L’aphasie est un trouble acquis du langage qui survient habituellement après un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un traumatisme crânien. Elle affecte la production et la compréhension du langage et nuit souvent aux interactions. Tous les ans, au Canada, environ le tiers des survivants à un AVC vivent avec l’aphasie. Cela correspond à 166 000 Canadiens, l’équivalent de deux arrondissements de Montréal.

S’occuper d’un membre de sa famille devenu aphasique peut se révéler difficile et stressant; c’est une expérience qui comporte bien des défis. Les proches aidants parlent souvent de perte d’intimité et d’échanges véritables. Les conversations sont souvent plus restreintes et moins profondes.

Qu’est-ce que le SAPPA et quel est son lien avec votre recherche ?

En 2013, mon équipe de recherche et moi avons élaboré un projet appelé Service aux proches d’une personne aphasique (SAPPA) en collaboration avec l’Association québécoise des personnes aphasiques (AQPA) soutenue financièrement par L’APPUI de Montréal.

Le SAPPA offre des services cliniques communautaires. Il emploie des orthophonistes et une travailleuse sociale qui se rendent au domicile des familles. Ces cliniciennes travaillent de près avec les personnes aphasiques et aussi leur famille. Elles leur donnent des conseils, de l’aide et leur enseignent des stratégies de communication efficaces et personnalisées qui permettent de converser et de surmonter les obstacles. Elles animent aussi des groupes de soutien et de communication à l’AQPA. Une centaine de familles de l’île de Montréal profite chaque année de ce service gratuit.

L’orthophonie se concentre sur l’évaluation et le traitement des problèmes de communication. Nos recherches sur les personnes aphasiques et leur famille nous ont permis de cerner leurs besoins et de mesurer les effets d’interventions innovantes. Nous avons aussi mis au point en recherche des guides d’entrevue pour nous aider à évaluer les besoins de communication dans les familles. De plus, nous avons créé une série de courts scénarios mettant en scène deux personnages fictifs, « Marie » et « Paul. » Les familles aiment discuter en trouvant des solutions aux problèmes de ces personnages et ces scénarios font maintenant partie de la pratique du SAPPA.

Quel genre d’impact a eu votre recherche sur les personnes aphasiques et leur famille?

Le projet clinique SAPPA se base sur la recherche effectuée préalablement. L’intervention offerte en orthophonie au SAPPA présente des effets importants pour de nombreuses familles. Lorsque nous avons commencé à offrir cette intervention, les cliniciennes trouvaient à l’occasion des personnes aphasiques seules dans leur chambre, porte close ! Notre approche était nécessaire en complément aux services d’orthophonie offerts actuellement. Les services réguliers s’articulent en grande partie autour de l’orthophoniste et du client. Les besoins et les défis de communication des membres de la famille ne sont pas spécifiquement pris en compte.

Le projet SAPPA a permis à des personnes aphasiques de s’assoir autour d’une table avec des membres de leur famille et d’échanger. Ils peuvent avoir de beaux échanges. Les membres de la famille mentionnent aussi une amélioration des relations familiales.

En quoi votre recherche est-elle innovante ?

Il y a trente ans, et encore aujourd’hui, les interventions en orthophonie visaient souvent le réapprentissage et la réactivation des compétences langagières par la répétition de mots, puis la production de phrases. Même s’il s’agit d’une bonne méthode, il fallait faire mieux. J’ai donc décidé de développer une approche clinique différente qui commence par la conversation. Des conversations stimulantes, intéressantes entre les membres de la famille mèneraient-elles à une meilleure production de mots? Certaines cliniciennes du SAPPA signalent, qu’avec le temps, l’approche permet d’observer moins de frustration et entraîne la production d’un plus grand nombre de mots dans des phrases plus longues. Nous avons entrepris un projet de recherche pour approfondir ces observations.

Cette recherche a aussi permis de mettre au point une méthode d’évaluation quantitative d’analyse et d’évaluation des conversations enregistrées sur vidéo. Des chercheurs de divers pays ont commencé à s’en servir; la méthode peut aussi être utile lors d’interventions cliniques.

Quelles répercussions a eu votre recherche sur l’orthophonie ?

Depuis 2013, 40 orthophonistes ont reçu une formation et des outils adaptés à cette nouvelle approche Depuis 5 ans, une communauté de pratique, formée d’orthophonistes du Service, d’une coordonnatrice et de moi-même, se réunit régulièrement dans le but d’améliorer la qualité des soins et de bonifier l’approche SAPPA.

Quelles autres réalisations découlent de votre recherche dans le cadre du SAPPA ?

Une chaîne You Tube Projet SAPPA et un groupe Facebook SAPPA offrent aux proches aidants des renseignements généraux et des conseils sur la façon d’améliorer la communication avec une personne aphasique.

Et la prochaine étape ?

Je travaille pour que le SAPPA soit offert partout au Québec. J’aimerais aussi que les méthodes et les outils mis au point soient intégrés aux pratiques régulières d’orthophonie pour aider à mieux vivre avec l’aphasie.

Pour obtenir des renseignements complémentaires, veuillez communiquer avec l’Association québécoise des personnes aphasiques (AQPA) par téléphone au (514) 277-5678 (poste 6) ou par courriel à l’adresse sappa@aphasie.ca.

Entrevue et texte : Spyridoula Xenocostas, Coordonnatrice–Partenariats et mobilisation des connaissances, CRIR à partenariat.crir@ssss.gouv.qc.ca