Récupération motrice après une lésion de la moelle épinière (Février 2021 – No 04)

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Édition février 2021 (04)


Vais-je marcher un jour? Optimiser la récupération fonctionnelle en stimulant le système nerveux

Courte entrevue avec Dorothy Barthélemy

Dorothy Barthélemy, pht. M.Sc., Ph.D.

Professeur agrégée, École de réadaptation, Université de Montréal
Chercheure, Centre de recherche, Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal
Chercheure, CRIR–Institut universitaire sur la réadaptation en déficience physique de Montréal, pavillon Gingras,
CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

 

Laboratoire de neuromobilité

 

 

De quels projets de recherche aimeriez-vous me parler aujourd’hui?

J’aimerais aborder trois projets qui portent sur le rétablissement des fonctions locomotrices chez les patients qui ont subi une lésion médullaire incomplète. Le premier projet vise à améliorer l’évaluation des capacités sensorielles et motrices après une lésion. Le deuxième porte sur le recours à des paradigmes de stimulation qui améliorent la plasticité neuronale et favorisent le rétablissement des fonctions motrices. Quant au troisième, il s’intéresse à la mise au point d’un protocole d’entraînement pour améliorer l’équilibre.

Qu’est-ce qu’une lésion médullaire?

La moelle épinière et le cerveau constituent le système nerveux central. La moelle épinière reçoit des signaux du corps et transmet des signaux qui activent le mouvement. Les personnes qui ont subi une lésion de la moelle épinière (aussi appelée lésion médullaire) ont des capacités sensorielles et motrices moindres sous la lésion. Cela provoque un handicap. En fonction de la lésion, les gens peuvent avoir une perte de sensations ou de la difficulté à bouger, à marcher, à prendre un verre, etc.

Au Canada, plus de 86 000 personnes vivent avec une lésion médullaire.
Une lésion à la moelle épinière, ou lésion médullaire, interrompt la communication entre le cerveau et le corps; elle entraîne la paralysie totale ou partielle des membres et du tronc. L’étendue de la paralysie dépend de l’endroit où se trouve la lésion dans la colonne vertébrale et de sa gravité.  Il n’y a pas deux lésions pareilles.
Une lésion basse au niveau de la moelle épinière entraîne une paraplégie, c’est-à-dire la paralysie des membres inférieurs, tandis qu’une lésion haute, au niveau des vertèbres cervicales (du cou) par exemple, entraîne une tétraplégie, soit la paralysie totale ou partielle des quatre membres.
Comme la moelle épinière contrôle le fonctionnement des membres inférieurs et supérieurs, les personnes ayant une lésion médullaire doivent bien souvent utiliser un fauteuil roulant.
Pour bien des gens, une lésion médullaire entraîne perte d’indépendance, pauvreté et isolement social.
Les lésions médullaires sont bien souvent le résultat d’accidents : accidents de la route, chutes, accidents de plongeon, accidents de travail. Elles peuvent aussi être liées à des causes autres que des traumatismes, notamment une dégénérescence de la moelle liée au vieillissement.

Sources : Moelle épinière et motricité Québec et Praxis Spinal Cord Institute. Rick Hansen Spinal Cord Injury Registry – A look at traumatic spinal cord injury in Canada in 2018. Vancouver, BC : Praxis; 2020.

Pourquoi étudiez-vous les lésions médullaires?

L’un des principaux domaines qui m’intéressent s’articule autour d’une évaluation précoce des dommages causés à la moelle épinière peu après la lésion, même avant le début de la réadaptation. Une évaluation plus précise pourrait mener à l’élaboration de protocoles de traitement qui pourraient optimiser le rétablissement.

Les cliniciens travaillant avec des personnes ayant une lésion médullaire doivent relever plusieurs défis. D’abord, l’ampleur du rétablissement d’un patient paralysé reste difficile à estimer jusqu’à la fin du traitement. En effet, nous n’avons pas de bons indices des dommages précis causés à la moelle épinière peu après la lésion. Ensuite, il y a moins de temps alloué au traitement en raison des contraintes que subit le système de santé. Cela signifie que des améliorations doivent se produire et qu’elles doivent survenir assez vite! Dès que le rythme du rétablissement diminue ou s’arrête (atteignant un plateau), le traitement se concentre sur l’apprentissage de mécanismes de compensation qui permettront au patient de recourir à des aides techniques ou à des parties de son corps épargnées par la lésion.  Cette approche est essentielle pour que le patient puisse reprendre ses activités quotidiennes, mais elle accorde moins d’importance au rétablissement fonctionnel.

Étant donné que certains patients peuvent retrouver la capacité de bouger des semaines ou des mois après le traitement, les cliniciens se posent souvent la question: aurions-nous pu faire davantage pour que le patient puisse bouger plus tôt? Une réponse à cette question nous permettrait de déterminer le moment optimal pour passer d’une approche visant la récupération à une approche de compensation.

Les cliniciens doivent relever un autre défi lié au fait que les lésions médullaires varient beaucoup d’un patient à l’autre.  La moelle épinière est complexe : de nombreuses voies transmettent des données des muscles et de la peau au cerveau, tandis que d’autres transmettent de l’information du cerveau aux muscles pour susciter le mouvement. Les lésions peuvent se produire n’importe où sur la moelle épinière. Elles peuvent couper toutes ces voies ou seulement l’une d’entre elles, et en interrompre partiellement d’autres.

Pouvez-vous déterminer les voies médullaires qui ont été endommagées?

Présentement, nous ne pouvons pas dire quelles voies médullaires sont endommagées. Les cliniciens recourent à deux méthodes de classement des lésions médullaires. La première s’attarde à l’endroit où se trouve la lésion. L’endroit de la lésion détermine le type de lésion. Par exemple, une lésion dans la région lombaire (bas du dos) affecte habituellement le mouvement des hanches et des jambes, mais non le haut du corps. La deuxième méthode s’intéresse à l’ampleur de la lésion et détermine si la lésion est complète ou incomplète. Les cliniciens se servent de l’échelle ASIA mise au point par l’American Spinal cord Injury Association pour le déterminer. Cependant, ces deux méthodes ne fournissent pas d’information sur les voies qui ont été coupées ou endommagées.

Une lésion médullaire complèteentraîne la perte de toute sensation (fonction sensorielle) et l’incapacité de contrôler les mouvements (fonction motrice) sous le niveau lésé.
Avec une lésion médullaire incomplète, il peut rester une certaine fonction sensorielle ou motrice sous le niveau lésé. La capacité de mouvement et la sensibilité varient entre les personnes.
Source : https://www.mayoclinic.org/diseases-conditions/spinal-cord-injury/symptoms-causes/syc-20377890

Depuis dix ans, ma recherche porte sur la quantification des dommages causés aux voies médullaires par les lésions et de leur effet sur le mouvement. Les résultats d’études antérieures que nous avons faites sur des personnes ayant une lésion médullaire chronique (≥1 an après la lésion) font état d’une nette corrélation entre l’endroit de la lésion sur la moelle épinière, les voies qui ont été lésées et les répercussions fonctionnelles. Ces travaux ont aussi souligné le potentiel de plasticité neuronale sous le niveau de la lésion.

Comment votre recherche évalue-t-elle le rôle de la plasticité sur la récupération des voies neuronales de la moelle épinière après une lésion médullaire?

Commençons par une définition de la plasticité neuronale.

La plasticité neuronale ou neuroplasticité est la capacité du système nerveux de modifier son activité en réaction à des stimuli intrinsèques ou extrinsèques par une réorganisation de sa structure, de ses fonctions ou de ses connexions. Si l’on pense plus précisément aux lésions cérébrales ou médullaires, la plasticité neuronale est la capacité du système nerveux de s’adapter ou de se régénérer après un trauma.
Réf. : http://medical-dictionary. Thefreedictionary .com /neuroplasticity; https://www.physio-pedia.com/

Nous savons que dans divers états pathologiques, il y a une période après la lésion pendant laquelle la plasticité neuronale est optimale. Des études démontrent par exemple que dans le cas d’un AVC, cette période est de trois mois. Une telle période existe aussi probablement dans les cas de lésion médullaire, mais elle reste à définir.

Un aspect novateur de ma recherche est le recours aux examens électrophysiologiques pour évaluer la plasticité neuronale. Ces examens servent le plus souvent à déceler s’il y a encore des liens entre le cerveau et la moelle épinière et si leur fonctionnement a changé.

Les examens électrophysiologiques reposent sur le placement d’électrodes sur la peau ou sur la tête pour mesurer les signaux électriques produits dans l’organisme par l’activité des neurones. Divers types d’examens sont utilisé dans le domaine de la recherche en réadaptation physique, entre autres l’électroencéphalogramme (EEG) qui mesure l’activité des neurones dans le cerveau, la stimulation magnétique transcrânienne (SMT) qui mesure les liens entre le cerveau et les muscles ou l’électromyogramme (EMG) qui mesure l’activité musculaire.

Un des objectifs du projet est d’obtenir de l’information sur l’état de ces connexions neuronales rapidement après la lésion de la moelle épinière.  Les données électrophysiologiques sont prises à divers moments après la lésion, d’abord après un mois, puis trois et six mois – et jusqu’à douze mois. Je dois mentionner que dans bien des cas, les premières données sont prises au chevet du patient avec de l’équipement mobile et non dans mon Laboratoire de neuromobilité du CRIR.  La capacité de faire des tests avec des unités mobiles constitue un progrès important puisque les patients sont souvent incapables de bouger immédiatement après une lésion médullaire. Nous pouvons donc obtenir des données de tous les patients – même avant le début du traitement de réadaptation.

Ces mesures, prises à différents moments, fournissent de l’information sur les voies qui ont été le plus atteintes et sur les déficits les plus probables du patient. Nous pouvons ainsi faire un diagnostic plus précis et mieux prévoir comment va se rétablir le patient.

Avez-vous obtenu des résultats qui pourraient intéresser les cliniciens et les patients?

Nos données préliminaires nous portent à croire que l’une des données qui prédisent le mieux la récupération d’un patient après une lésion médullaire est la fonction sensorielle mesurée à un mois.  Nous avons adopté une nouvelle approche fondée sur le seuil de perception électrique.

L’examen portant sur le seuil de perception électrique (SPÉ) mesure le seuil de sensation ou l’intensité minimale d’un stimulus électrique appliqué sur la peau que le sujet peut ressentir.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5558198/

De plus en plus de laboratoires de recherche autour du monde expérimentent cette méthode. Elle permet d’obtenir des résultats beaucoup plus précis quant à la plage de sensibilité que le patient peut percevoir après la lésion ainsi qu’à son intensité. Nous présentons actuellement nos résultats préliminaires sur cette technique. Mon équipe de recherche et moi-même poursuivons nos études dans ce domaine.

À votre avis, quel genre de répercussions pourrait avoir votre recherche sur la pratique clinique?

Nous avons une façon de déterminer quelles sont les voies médullaires les plus atteintes. Chaque voie a sa raison d’être. Certaines permettent de maîtriser l’équilibre, d’autres, les fonctions sensorielles ou les mouvements volontaires. En sachant quelle voie a été coupée par la lésion, nous avons une bonne idée des déficits avec lesquels un patient devra composer à plus long terme.

Je travaille avec des physiatres de l’Hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal et de l’Institut universitaire sur la réadaptation en déficience physique de Montréal qui s’intéressent beaucoup aux résultats de cette recherche. Les patients leur demandent souvent : « Est-ce que je vais me rétablir? », « Vais-je pouvoir bouger un jour? », « Vais-je marcher un jour? ». En ce moment, les cliniciens ne peuvent pas répondre à ces questions. Nous espérons que les résultats de notre recherche contribueront des données supplémentaires pertinentes qui aideront les cliniciens à discuter avec leurs patients de rétablissement et de traitement.

Que planifiez-vous faire ensuite comme travail de recherche?

La prochaine étape porte sur des traitements ciblés visant à optimiser la plasticité neuronale dans le système nerveux central.  En d’autres mots, à stimuler les voies médullaires épargnées par la lésion afin d’améliorer le rétablissement.  Cela nous permettra de personnaliser le traitement. C’est l’objectif d’un deuxième projet de recherche dans lequel nous ferons appel à un traitement novateur appelé stimulation magnétique transcrânienne répétée ou SMTr.

La stimulation magnétique transcrânienne répétée (SMTr) est une forme non invasive de stimulation du cerveau; les pulsations d’un champ magnétique provoquent un courant électrique dans une zone spécifique du cerveau par induction électromagnétique. Elle peut moduler l’activité des cellules du cerveau.

https://en.wikipedia.org/wiki/Transcranial_magnetic_stimulation

Bien des patients qui se sont plus ou moins rétablis arrivent encore mal à bouger les jambes. Cette difficulté évoque une lésion dans la voie qui relie le cerveau aux muscles – la voie corticospinale. C’est la voie qui permet aux gens en santé de marcher et de bouger. La SMTr peut servir à stimuler l’activité dans le cerveau et dans les voies partiellement lésées, de pair avec les traitements cliniques courants, pour favoriser le rétablissement de la motricité. Ce traitement appliqué dans les premiers mois suivant une lésion va-t-il améliorer la récupération? Constaterons-nous des effets plus importants qui se maintiendront? Ce sont les questions auxquelles cette recherche veut répondre.

Qui pourrait s’intéresser à votre recherche?

Les chercheurs qui travaillent sur divers aspects des lésions médullaires pourraient trouver mes travaux de recherche intéressants. Il en va de même pour les étudiants qui font de la recherche et veulent mener plus loin ce type de travail pour en repousser les limites. Quant aux étudiants qui se destinent à une carrière en clinique, cette recherche peut leur donner un aperçu de ce que pourraient être les traitements de l’avenir. Ces résultats pourraient aussi intéresser les cliniciens qui travaillent auprès de lésés médullaires puisque ces données viennent compléter des connaissances et pratiques existantes.

Passons à votre troisième projet sur l’élaboration de séances d’entraînement visant à améliorer l’équilibre chez les lésés médullaires. Pouvez-vous décrire ce que vous faites?

Dans mon laboratoire de recherche, je travaille avec Charlotte Pion, Ph. D., chercheure postdoctorale, à la conception d’un nouveau paradigme d’entraînement pour améliorer l’équilibre. Selon la littérature, les patients qui ont subi une lésion médullaire incomplète risquent beaucoup de tomber. Ce risque vaut aussi pour ceux qui ont de bons résultats aux examens cliniques portant sur l’équilibre. Ces patients n’ont pas les mêmes réactions posturales de compensation que les personnes en santé. Les personnes en santé arrivent à s’adapter, à retrouver leur équilibre et à le maintenir dans des situations problématiques, quand ils marchent dans le noir ou sur un terrain accidenté, par exemple.

Pour quantifier et améliorer la force et la rapidité de ces réactions posturales, nous avons conçu un paradigme d’entraînement à deux volets. Le premier, l’entraînement de l’équilibre, repose sur le renforcement de l’équilibre par l’imposition de perturbations. Des études suggèrent que les malades atteints de problèmes de santé divers, dont des lésions médullaires, profitent de cette forme nouvelle d’entraînement. L’entraînement musculaire en puissance est le deuxième volet. Il est conçu pour améliorer la vitesse de réaction des muscles. Il faut une réaction rapide pour mobiliser les muscles en cas de chute. C’est pourquoi nous entraînons les patients à réagir rapidement en situation simulée de chute.

Cet entraînement combiné a-t-il été efficace?

À ce jour, seulement deux patients ont tiré profit de cet entraînement, et nous avons constaté une amélioration chez les deux. Cependant, savoir tout simplement que les patients vont mieux ne me suffit pas (rires)! Nous voulons déterminer et mesurer les changements survenus dans le système nerveux central qui pourraient expliquer cette amélioration. Selon des résultats préliminaires, l’entraînement améliore la façon dont le cerveau intègre les données sensorielles provenant des jambes. En d’autres mots, le cerveau comprend mieux et plus vite que l’environnement devient moins stable et peut réagir en mobilisant plus rapidement les muscles appropriés. Nous devons toutefois avoir plus de participants pour confirmer ces changements!

Vous semblez très motivée à faire de la recherche dans ce domaine. Comment expliquez-vous cet intérêt?

J’ai travaillé trois ans comme physiothérapeute pendant mes études supérieures. J’ai toujours fait de mon mieux pour donner à mes patients des traitements fondés sur des données probantes. Certains réagissaient très bien, et d’autres pas du tout. Je me demandais pourquoi. Je voulais connaître les causes de cette différence. Ce sont les questions qui m’ont motivée à faire de la recherche.  Les trois projets de recherche dont je vous ai parlé aujourd’hui ont des répercussions sur la pratique clinique actuelle. Bien sûr, il faudra du temps avant que les résultats puissent être appliqués en clinique. Ces résultats pourront peut-être mener à la conception de nouveaux outils qui viendront compléter les techniques actuelles qui ont du succès. En répondant à des questions aussi fondamentales, on peut améliorer la réadaptation.

Qui pourrait trouver intéressant de recevoir un exemplaire de cette entrevue?

Les patients. Quand j’invite des patients à participer à nos études, ils veulent toujours en savoir davantage sur leur lésion et s’intéressent à la recherche de pointe. Les cliniciens aussi et, bien sûr, les autres chercheurs. Entendre parler de notre recherche peut mener à de futures collaborations.

Entrevue et texte : Spyridoula Xenocostas, Coordonnatrice—Partenariats et mobilisation des connaissances, CRIR à :  partenariat.crir@ssss.gouv.qc.ca