Transformer un musée en laboratoire vivant grâce aux technologies portables

Édition janvier 2023 (08)


Transformer un musée en laboratoire vivant grâce aux technologies portables

Résumé d’une entrevue avec Élaine de Guise

Élaine de Guise, Ph. D.

Professeure agrégée, Département de psychologie, Université de Montréal

Chercheure, CRIR–Institut universitaire sur la réadaptation en déficience physique de Montréal (IURDPM), Pavillon Lindsay, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Laboratoire de développement d’outils d’évaluation des commotions cérébrales et des traumatismes craniocérébraux

 

Cette entrevue fait partie de la série VITALISE.

VITALISE est un projet financé par l’UE H2020 qui vise à harmoniser les services des laboratoires vivants et à ouvrir les infrastructures de ces laboratoires afin de faciliter et de promouvoir la recherche ouverte et les activités innovantes en santé et bien-être en Europe et ailleurs dans le monde.

 

Qu’est-ce que le projet NEURO-MBAM et quelle en est l’idée principale?

L’idée de ce projet est d’explorer diverses méthodes de collecte de données scientifiques dans un environnement de la vie quotidienne, en l’occurrence au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). La question essentielle est de savoir si nous sommes capables de quitter nos laboratoires et d’évaluer des gens dans un milieu moins contrôlé comme un musée avec tous nos appareils et toutes nos technologies.

 

Dans quel contexte tentez-vous de répondre à cette question?

Nous collaborons dans le cadre d’une étude portant sur les effets d’une visite muséale sur la mobilité, la cognition et le bien-être. Nous avons débuté auprès d’une population adulte en santé plus âgée, puis nous avons adapté notre approche avec des adultes mobiles ayant subi un AVC (accident vasculaire cérébral).

Ce projet est lié à deux des Orientations stratégiques du CRIR 2022-2028

  • Promouvoir l’inclusion, la justice et la participation sociale par des environnements inclusifs
  • Faire progresser la science de la mobilisation des connaissances et leur mise en application

 

Quelles technologies avez-vous apportées au musée?

C’est un projet qui regroupe de nombreux chercheurs et chercheures intéressés à diverses thématiques.

Sylvie Nadeau et Patrick Boissy s’intéressent tous deux à la mobilité; ensemble, ils évaluent la capacité de s’asseoir et de se lever ainsi que les changements éventuels de la démarche au fil de la visite, de même que la capacité à se déplacer dans le musée (durée, nombre de pas, etc.) (durée, nombre de pas, etc.). Pour y arriver, ils se servent de montres AppleWatch, de détecteurs de mouvement et d’un tapis portable sous forme de piste de marche GAITRite qui est transportée du laboratoire au musée.

Louis Bherer s’intéresse à la cognition. Plus spécifiquement, il mesure le type d’activité cérébrale du cortex préfrontal lorsqu’une personne regarde ou analyse une œuvre d’art. Il utilise un appareil de spectroscopie proche à infrarouges portatif pour mesurer ces changements cérébraux. Les participantes et participants portent un casque sur la tête qui active des rayons infrarouges afin de détecter les changements dans le cerveau.

Eva Kehayia utilise des lunettes de monitorage oculaire fabriquées par Pupils Labs. Elle s’intéresse à l’expérience de lecture des descriptions qui accompagnent les œuvres d’art, en particulier chez les personnes qui ont eu un AVC et sont aphasiques. Elle donne aux participantes et participants deux descriptions, la description régulière du musée et une description plus simple, puis se sert des lunettes pour vérifier combien de temps les sujets passent à regarder la description comparativement à l’œuvre d’art.

Tiiu Poldma documente, à l’aide de photographies et d’observations directes, les caractéristiques physiques de l’environnement, les modèles de circulation dans le musée et les suivis auprès des participants aux projets et leurs interactions avec le musée pendant qu’ils utilisent différentes technologies. Par exemple, le casque à infrarouges dérange-t-il les autres visiteurs du musée? Les participantes et participants se sentent-ils en sécurité et se déplacent-ils avec assurance dans le musée?

Enfin, pour ma part, je m’intéresse à l’aspect psychologique et je n’ai eu besoin d’aucune technologie particulière. J’ai utilisé divers questionnaires sur papier avant et après la visite au musée. J’ai évalué des éléments comme la capacité des participantes et participants d’alterner d’une tâche à une autre, la mémoire à court-terme et à long-terme, la douleur, la fatigue, l’anxiété, le stress, le bien-être et la satisfaction tirée de l’expérience.

Wow, quelle équipe! Comment s’est passé ce travail de collaboration? Avez-vous appris quelque chose de nouveau?

Peu importe les obstacles que nous avons dû relever, il est possible de faire de la recherche ailleurs que dans nos laboratoires dans un milieu stimulant comme un musée. Dans l’ensemble, l’expérience a été extrêmement enrichissante et m’a permis de collaborer avec des chercheurs de domaines autres que le mien et aussi élargir mes propres intérêts de recherche.

 Concentrons-nous sur l’aspect psychologique, votre domaine d’intérêt. Que nous disent les données?

Nous avons fait un constat à ce jour : les adultes plus âgés en santé et les patients qui ont eu un AVC avaient les mêmes niveaux de bien-être, de stress, d’anxiété et de satisfaction après la visite muséale. Cela veut dire que l’activité ne semble pas avoir provoqué plus de stress ou d’anxiété chez les patients qui ont eu un AVC et que tous ont été satisfaits de leur expérience. Les différences que nous constatons cependant, c’est que les personnes qui ont eu un AVC ont davantage de problèmes cognitifs et sont plus fatiguées. Malgré cette fatigue, elles ont malgré tout aimé leur expérience et avaient un sentiment de bien-être, ce qui est très intéressant!

 Quelles sont les retombées de la participation de NEURO-MBAM au projet Vitalise?

À l’automne 2021, nous avons partagé la méthodologie scientifique que nous avons développée pour NEURO-MBAM avec le réseau Vitalise; il y aura des équipes de recherche partout au monde qui vont reproduire notre méthodologie muséale (en particulier et dans un premier temps, à Thessalonique, en Grèce). Ensuite, nous allons mettre en commun tous nos résultats pour créer une plus grande base de données à analyser et aussi pour mieux comprendre dans quelle mesure l’idée peut se transposer dans divers pays et diverses cultures.

Qui a financé ce merveilleux projet et quelles en sont les prochaines étapes?

Ce projet pilote est soutenu financièrement par le Réseau provincial de recherche en adaptation-réadaptation (REPAR), le Réseau québécois de recherche sur le vieillissement (RQRV), et le regroupement Ingénierie de technologies interactives en réadaptation (INTER) en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Montréal.

Il y a plusieurs choses que nous aimerions faire maintenant. D’abord, appliquer notre méthodologie à diverses populations. Par exemple, évaluer un groupe de personnes atteintes de la maladie de Parkinson, d’Alzheimer, ou encore les traumatisés craniocérébraux qui représentent mon champ d’expertise. Ensuite, développer en collaboration avec le personnel des musées et des patientes et patients partenaires, une intervention sous forme de visite muséale. Pour y arriver, d’autres études subséquentes seront nécessaires afin de mieux comprendre les éléments qui caractériseront cette intervention, comme sa durée ou les modifications à y apporter en fonction de la population étudiée. Bien d’autres discussions avec tous nos collaborateurs seront nécessaires!

 

Merci énormément de ce partage! Ce fut un réel plaisir de découvrir votre travail. J’espère de tout cœur que l’équipe pourra concrétiser toutes ces idées.

 

Entrevue et texte : Alida Esmail, coordonnatrice, Partenariats et mobilisation des connaissances, CRIR, à l’adresse : partenariat.crir@ssss.gouv.qc.ca