La réadaptation dans des contextes de vie concrète : l’approche PREP (Mai 2022 – No 07)

Édition mai 2022 (07)


La réadaptation dans des contextes de vie concrète : l’approche PREP

Résumé d’une entrevue avec Dana Anaby

 

Dana R. Anaby, Ph. D.

 

Professeure agrégée, École de physiothérapie et d’ergothérapie, Université McGill

Chercheuse, Centre de réadaptation CRIR–Lethbridge-Layton-Mackay, campus Mackay, CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal

ASPIRE Laboratory (Advancing Strategies for Participation-based Initiatives in REhabilitation)

 

De quel projet de recherche aimeriez-vous me parler aujourd’hui?

J’aimerais parler de l’intervention ou approche PREP autour de laquelle est surtout axée ma recherche des dix dernières années. J’ai eu la chance d’obtenir le soutien des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour tester cette intervention auprès des adolescents et des jeunes adultes ayant une incapacité physique et de développer un éventail d’outils et de matériel de transfert des connaissances (notamment un module d’apprentissage en ligne en anglais) pour soutenir sa mise en application pratique.

Intéressant! Entrons dans le vif du sujet. Qu’est-ce que la PREP?

PREP est un acronyme pour Pathways and Resources for Engagement and Participation (Parcours et ressources d’engagement et de participation). Globalement, c’est une approche qui vise à améliorer la participation de personnes vivant avec divers types d’incapacités physiques dans des situations concrètes tout au long de leur vie. Le PREP est assez vaste, car il peut s’appliquer à un grand nombre de diagnostics ou d’états et faciliter n’importe quelle activité de choix. Dans mon laboratoire, je me concentre surtout sur l’amélioration de la participation aux activités de loisir des adolescents et des jeunes adultes (12-24 ans) qui vivent avec une incapacité physique (avec mobilité restreinte) dans leur propre communauté.

Ce projet est lié à deux orientations stratégiques 2022-2028 du CRIR :

No3 Promouvoir l’inclusion, la justice et la participation sociale par des environnement inclusifs

No4 Faire progresser la science de la mobilisation des connaissances et leur mise en application

Pourquoi l’approche PREP est-elle spéciale?

Ce qui est particulier, c’est que nous n’essayons pas de « réparer » l’incapacité de la personne ou de lui apprendre des habiletés précises en isolement de leur communauté (ce qui est fait le plus souvent en pratique). Nous nous efforçons plutôt de changer des aspects de l’environnement pour aider les jeunes à participer « tels qu’ils sont », en d’autres mots avec leur capacité actuelle. Le mot environnement évoque en premier lieu le milieu physique – la disposition des édifices, etc. – mais nous avons une perspective plus vaste de l’environnement, qui englobe le milieu social, familial, institutionnel de même que les attitudes des autres envers les incapacités et la valeur d’une vie active.

Par exemple, certains responsables communautaires peuvent hésiter à inclure des personnes incapacités simplement car ils ne savent pas comment adapter leur programme ou activité pour une personne qui a des besoins particuliers. Le PREP offre du soutien et présente des conseils pour les dans de telles situations, en leur fournissant les connaissances et les stratégies requises pour adapter leur programme. Cela peut leur donner un sentiment de contrôle et d’aisance. C’est aussi une approche qui n’exerce pas de pression pour que la personne change; elle prend plutôt en compte les désirs de cette personne et modifie des aspects de son propre environnement pour favoriser sa participation. Prenons l’exemple d’un enfant qui veut apprendre à nager. Typiquement, nous penserions à travailler l’amplitude des mouvements, la force musculaire, etc. en espérant que cela permettrait à l’enfant de participer à l’activité. En réalité, toutefois, l’environnement est beaucoup plus complexe. L’idée, c’est d’inverser le modèle couramment utilisé en réadaptation et de commencer notre intervention sur le plan de la participation (plutôt que de l’incapacité; nous pouvons alors constater si l’amélioration de la participation suscite parallèlement des améliorations sur d’autres plans (comme l’amplitude du mouvement). C’est une façon de déguiser la thérapie en activité qui motive davantage les enfants et les jeunes adultes!

Comment fonctionne l’approche? Pouvez-vous me décrire les étapes du parcours de la participation?

D’abord, la personne choisit une activité de loisir communautaire. Ça peut être n’importe quelle activité, pas nécessairement un sport. Nous avons vu un éventail d’activités, allant d’apprendre à jouer d’un instrument de musique (piano, saxophone, guitare) à faire du bénévolat dans une station de radio, dessiner, prendre un cours de cuisine, rédiger des textes créatifs et même apprendre le japonais ou faire de la gymnastique! Ce qui est le plus important avant tout c’est que le jeune ait envie de faire l’activité et que ça le passionne. Une fois l’activité choisie, un(e) ergothérapeute travaille avec l’enfant ou le jeune adulte pour analyser le milieu physique, social et institutionnel et déterminer le type d’obstacles et de ressources qui peuvent exister.

Qu’avez-vous observé dans le cadre de cette recherche?

C’est vraiment étonnant et inspirant de voir le nombre de personnes de la communauté qui sont généreuses, passionnées et prêtes à s’impliquer quand elles entendent parler de ce projet! Nous avons récemment travaillé avec une personne atteinte d’une légère paralysie cérébrale qui voulait jouer au football — c’était un amateur passionné de football. Nous avons trouvé un entraineur d’expérience, joueur de football à la retraite, qui était prêt à tout faire pour le motiver, même pendant la pandémie. Le jeune ne pouvait pas se joindre à une équipe en raison des contraintes sanitaires, mais l’entraineur et le jeune se sont rencontrés une fois par semaine dans un parc pour lancer le ballon de football. Le jeune a même rencontré une équipe de jeunes de son âge qui s’entrainaient pour devenir joueurs de football professionnels, et toute l’équipe lui a remis un chandail — il sentait vraiment qu’il faisait partie de l’équipe. Ce fut toute une affaire! Cette composante sociale peut avoir un énorme impact sur un jeune incapacité.

En parlant avec les parents, nous avons aussi constaté qu’il semblait y avoir un effet « domino » sur le comportement des enfants. Après l’intervention, certains enfants étaient un peu plus enclins à essayer de nouvelles choses et à assumer de nouveaux rôles à l’école (comme de s’inscrire au comité de théâtre!). Notre intervention s’est concentrée sur l’aspect communautaire, mais c’est encourageant d’entendre qu’elle a aussi eu un effet à le milieu scolaire. C’est peut-être une question de meilleure estime de soi, nous ne le savons pas vraiment, mais cela a vraiment soulevé notre curiosité.

Quelle est votre prochaine étape?

Nous commençons à étudier les implications à long terme du PREP pour voir si ces jeunes continuent à faciliter leur participation par eux-mêmes une fois l’intervention terminée. Pour que cela soit durable, il faut voir si les jeunes ou leurs familles ont appris de nouvelles stratégies et sont capables d’appliquer ces connaissances par eux-mêmes. Le PREP a aussi reçu assez rapidement beaucoup d’attention de la communauté internationale (autour du Canada, en Inde, en Australie, en Suède, au Brésil, en Irlande, au Royaume-Uni, entre autres). Nous aimerions vraiment faire bientôt une étude regroupant plusieurs provinces, parce que si nous voulons changer la pratique et arrêter de nous concentrer avant tout sur l’incapacité, nous avons besoin de données à plus grande échelle.

Comment les gens découvrent-ils la PREP?

En 2016, nous avons développé un manuel et maintenant nous avons aussi un site Web. Le manuel comprend plusieurs formulaires et guides qui aident à décrire l’activité, l’environnement et les stratégies permettant de retirer les obstacles. Il y a plus de 100 stratégies regroupées par type d’environnement (physique, social, comportemental, institutionnel, etc.). Il y a beaucoup de matériel, mais c’est très bien organisé! Au début, nous pensions que cela intéresserait seulement les ergothérapeutes, mais beaucoup de physiothérapeutes et d’autres professionnels de la santé s’intéressent aussi à la PREP, de sorte que le guide peut facilement s’adapter et est accessible à tout le monde. Notre équipe anime environ une douzaine d’ateliers et de webinaires PREP par année dans le monde. Le site Web est conçu surtout pour les professionnels de la santé, mais il peut aussi être utile aux gestionnaires et aux parents, parce qu’il est interactif et très vaste. On y trouve des vidéoclips qui expliquent les cinq étapes de la PREP; établir un objectif, faire un remue-méninge et déterminer les obstacles environnementaux, suggérer des solutions, mettre en œuvre les solutions, puis faire un suivi et déterminer les prochaines étapes. L’intervention peut varier d’un enfant à l’autre, mais le principe est de changer l’environnement et non de changer l’enfant.

Ce n’est pas étonnant que vous ayez reçu un prix pour la PREP! Cela semble extraordinaire. Quel impact espérez-vous de votre recherche?

J’espère que le programme PREP et que les preuves que nous accumulons à son sujet vont vraiment orienter la pratique vers la participation et arrêter de la concentrer principalement sur la déficience de la personne. J’espère que les cliniciens, les parents et les gestionnaires verront réellement la valeur du concept de la participation, du fait de changer l’environnement pour améliorer la participation et qu’ils seront prêts à investir dans cette approche, à l’adopter et à l’inclure dans les services qu’ils offrent à notre clientèle. Je trouve aussi très important de comprendre qu’il y a plus d’une façon de participer avec succès. Comme dans l’histoire de l’équipe de football, il n’est pas obligatoire d’exceller ou de maîtriser une activité comme un « athlète » pour avoir l’impression d’y participer.

 

Merci beaucoup d’avoir parlé avec moi, Dana. Votre travail est très inspirant!

Entrevue et texte : Alida Esmail, coordonnatrice, Partenariats et mobilisation des connaissances, CRIR, à l’adresse : partenariat.crir@ssss.gouv.qc.ca