La communication est essentielle : améliorer la participation des adolescents vivant avec des troubles de la communication (Octobre 2021 – No 06)

Édition octobre 2021 (06)


La communication est essentielle : améliorer la participation des adolescents vivant avec des troubles de la communication

Courte entrevue avec Stefano Rezzonico

Stefano Rezzonico, Ph. D.

Professeur adjoint, École d’orthophonie et d’audiologie, Université de Montréal

Chercheur, CRIR–Institut universitaire sur la réadaptation en déficience physique de Montréal (IURDPM), Pavillon Laurier, CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

 

Laboratoire CLEA — Communication et langage chez l’enfant et l’adolescent

 

 

Allons au vif du sujet! Racontez-moi l’histoire du projet « Mégaphone » …

Sur la photo : Stefano Rezzonico (Université de Montréal, CRIR-IURDPM); Julie McIntyre (Université de Montréal); Claire Croteau (Université de Montréal, CRIR-IURDPM); Natacha Trudeau (Université de Montréal, CRIR-IURDPM); Jessica Swallert (IRD)

Avec plaisir ! « Mégaphone » est un programme clinique qui regroupe 8 adolescents vivant avec des troubles de la communication, 1 orthophoniste et 1 travailleuse sociale. L’objectif du programme est de recourir à des activités artistiques – un film dans cette cohorte – pour aider à améliorer les compétences en communication d’adolescents qui vivent avec un trouble de la communication. Pendant 8 semaines (2,5 heures une fois par semaine), le groupe s’est rencontré en personne pour discuter du genre de film qu’ils aimaient et qu’ils avaient envie de créer, rédiger un scénario, filmer et éditer un court métrage. Pour le volet de la recherche, nous avons ajouté 2 autres semaines au programme (1 au début et 1 à la fin, pour un total de 10 semaines) afin d’ajouter des questionnaires qui évaluaient l’utilisation de la langue ainsi que l’anxiété sociale. Nous avons aussi placé deux caméras dans la pièce pour enregistrer et observer ce qui se passait pendant les séances.

D’où est venue l’idée de ce projet?

Le programme de groupe en soi n’est pas mon idée. En fait, je l’ai vu au Carrefour des connaissances de l’IURDPM ! C’est un programme qui figurait déjà dans les activités pour adolescents et jeunes adultes de l’Institut Raymond-Dewar (IRD). Jessica Swallert, une orthophoniste en a fait une présentation sur affiche, et je lui ai dit : « Wow ! C’est exactement ce qui m’intéresse comme chercheur, le côté pragmatique; est-ce qu’on peut collaborer ? ». Alors, nous avons fait une demande au Programme Nouvelles initiatives du CRIR et dès que nous avons reçu le financement, nous avons formé une nouvelle cohorte à laquelle j’ai pu intégrer des évaluations de recherche portant sur le langage et l’anxiété sociale.

Quel a été votre plus grand défi ?

Mégaphone était un essai pilote dans bien des domaines et une activité inédite de bien des façons. Il n’y a pas beaucoup de données ou d’outils dans la littérature pour comprendre le fonctionnement du langage chez les adolescents. C’est pourquoi une de nos grandes questions était précisément de trouver comment évaluer le langage chez des adolescents vivant avec un trouble de la communication.

Les adolescents sont un peu laissés pour compte quand on parle de compétences en communication. Dans un congrès international sur le développement du langage, par exemple, environ 60 % des présentations portent sur les enfants de moins de 5 ans, 40 % sur les élèves du primaire, puis seulement 4 présentations sur l’adolescence. Nous avons beaucoup d’outils de recherche et de clinique validés pour les enfants jusqu’à l’âge de 16 ans et ensuite pour les personnes de 16 ans ou plus qui ont fait un AVC ou subi un traumatisme cérébral. Mais qu’en est-il du point de vue du développement? Ce n’est pas la même chose. Dans cette optique, Mégaphone était fort intéressant parce que le projet nous a obligés à mettre au point en cours de route des outils d’évaluation de domaines comme la communication, l’interaction, etc. Cela a mené à un projet théorique plus vaste, subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) qui se déroule en ce moment.

Quel est le résultat de Mégaphone qui vous a le plus étonné ?

Il y a deux choses principales qui nous ont enthousiasmés. D’abord, en ce qui a trait à l’anxiété sociale et à l’évitement de certaines situations de communication. Au prétest, certains adolescents nous avaient dit qu’ils n’évitaient pas les situations de communication, puis, au post-test, ils ont dit qu’ils évitaient ces situations. Je veux cependant vous expliquer qu’à mon avis ce n’est pas l’intervention qui les a fait éviter des situations; je pense que cela leur a simplement fait réaliser qu’ils les évitaient. Par exemple, dans le questionnaire prétest, ils avaient répondu « oui » à la question : « Est-ce que cette situation vous fait peur ? » et « non » à la question : Est-ce que vous l’évitez ? »; au post-test, les réponses ont été « Oui, ça me fait peur » et « Oui, je l’évite ». Je pense que l’intervention leur a mieux fait comprendre comment ils géraient leur anxiété, et nous ne nous y attendions pas.

La deuxième chose, c’est que nous avons pris conscience de l’importance des pauses. Pendant la séance de 2 heures et demie, à un certain moment, ils prenaient une petite pause, mangeaient des « chips » et parlaient un peu; et c’est à ce moment qu’ils mettaient en pratique leurs objectifs. Chaque personne avait son propre mini-objectif de la journée, par exemple « parler à 3 personnes » ou « demander à quelqu’un quel est son film favori », et c’est pendant la pause qu’ils accomplissaient ces tâches. C’était intéressant, parce qu’au départ, les cliniciens n’avaient pas intégré les pauses à leur programme, alors qu’à partir de maintenant c’est nécessairement un élément à garder, et cela a suscité de nombreuses questions de recherche à venir!

Il semble que votre collaboration avec des cliniciens est un élément clé de ce projet. Collaborez-vous toujours avec des cliniciens ?

Je ne suis pas un chercheur clinicien, donc mon rôle est clairement de chercher la documentation, de fournir des outils d’évaluation, de réfléchir avec d’autres à la méthodologie et au moyen de valider et de mesurer certaines choses, de faire les statistiques, etc. Je n’ai cependant pas l’impression que l’intervention clinique m’appartient; je ne suis pas celui qui interagit avec les enfants. Je vous dirais que je suis celui qui fabrique le marteau, pas le charpentier; je fabrique le marteau et ensuite, vous vous en servez pour faire la maison comme vous la voulez. De même, mon travail n’est pas de dire aux gens comment intervenir; je suis là pour aider, afin que nous puissions évaluer ensemble d’un œil objectif. C’est à ce niveau que la collaboration est extrêmement fructueuse. Les cliniciens ont des antennes très développées; ils savent beaucoup de choses et, dans le cas présent, ils sont probablement un peu en avance sur la littérature. Je me trouve chanceux comme chercheur de pouvoir étudier ce sujet qui me semble le fruit d’années de pratique. Cela dit, je suis plus détaché émotionnellement, donc ce serait plus facile pour moi de dire « Écoutez, ça n’a pas marché » au besoin, mais je pense que ce sont tous de bons projets et de bons programmes, sinon je n’y consacrerais pas de temps.

Nous entreprenons un nouveau projet en collaboration avec des cliniciens qui est aussi subventionné par Nouvelles initiatives. Nous allons évaluer l’intervention « Je me raconte » du Programme de Langage et Trouble de traitement auditif (LTTA) de l’IRD. L’intervention est offerte depuis une dizaine d’années aux enfants de 7 à 12 ans dans le but d’améliorer et de favoriser leurs compétences en narration. Je collabore avec Elin Thordadottir, Ph. D. et, avec l’aide de la coordonnatrice de recherche clinique, Patrizia Mazzocca, nous avons parlé à la directrice du programme de nos intérêts respectifs et aujourd’hui, nous participons tous à un projet de recherche. Alors, pour revenir à votre question, je travaille régulièrement avec des cliniciens et j’adore ça !

Comme vous travaillez avec des mineurs, est-ce que je peux supposer que les parents forment aussi une grande partie de votre travail ?

Tout à fait. Dans le programme « Je me raconte », l’équipe clinique travaille avec des duos parent-enfant, de sorte que les parents seront aussi des participants. Mais, même lorsque les parents ne sont pas officiellement participants, ils peuvent exercer une grande influence sur notre travail. Dans le projet Mégaphone, par exemple, un adolescent a mentionné au post-test que sa mère avait constaté une amélioration de son langage. Cela peut sembler anecdotique, mais cela nous fait vraiment réfléchir à l’importance de la perception parentale de la confiance en soi et des progrès de nos participants et à la meilleure façon d’évaluer cet aspect. Les parents peuvent aussi influencer le recrutement. Bien des parents nous disent : « Voici ce dont a besoin mon enfant, et ce n’est pas une intervention en groupe qui peut lui offrir », mais vous seriez étonnés de l’ampleur des bienfaits d’une intervention de groupe sur une personne en particulier. Le groupe Mégaphone leur permet de s’exercer avec des jeunes de leur âge; d’être remis en question par d’autres adolescents, de les aider et de recevoir de l’aide, d’observer comment d’autres surmontent leurs difficultés, etc. La qualité d’une intervention de groupe n’est pas moins bonne parce qu’elle coûte moins cher.

Parlez-moi de l’avenir… où ces projets vous mèneront-ils ?

Mégaphone a suscité environ un million de nouvelles questions, et la pandémie en a créé des centaines d’autres ! Des questions comme les suivantes : Qu’est-ce qui change quand une intervention se passe en ligne ? Qu’en est-il d’une intervention en groupe en réalité virtuelle pour les adolescents ? La réalité virtuelle permettait-elle d’augmenter la mobilisation et la participation au programme ? Ce programme pourrait-il se faire en milieu communautaire ? Pourrait-on le transférer facilement à d’autres orthophonistes dans un autre CIUSSS? Les adolescents restent-ils en contact après la fin du programme ? En ce moment, tout se passe en français, mais pourrait-on imaginer un groupe bilingue ? Ou un groupe qui porte plus attention à la diversité culturelle ? Comment créer un partenariat avec le système scolaire ?

 

Nous allons continuer à faire plus de projets pilotes pour mieux définir ces voies de recherche, puis obtenir – espérons-le – des subventions plus importantes pour de plus grandes cohortes qui peuvent avoir un effet plus important sur la littérature !

 

Wow! Vous avez du pain sur la planche! Y a-t-il autre chose que vous voulez partager avec nous aujourd’hui ?

Notre système social est fondé sur la communication. Une société existe à cause de la communication. Pour être citoyen, il faut pouvoir communiquer. Par exemple, pour avoir une vie active, un partenaire de vie, pour travailler, voter, tout passe vraiment par la communication. La communication est vraiment essentielle! Alors, je pense qu’il est de notre responsabilité comme société de créer un milieu de communication inclusif, sûr et favorable qui permet à chaque personne de s’exprimer et de participer.

 

Stefano, merci énormément ! Ce fut un grand plaisir d’en apprendre plus sur cette incroyable recherche et j’ai hâte de voir comment les choses avancent. Bonne chance pour la suite !

Entrevue et texte : Alida Esmail, coordonnatrice, Partenariats et mobilisation des connaissances, CRIR, à l’adresse : partenariat.crir@ssss.gouv.qc.ca